mardi 31 mars 2009

TABOUS

LO N° 294

L'ARGENT/DETTE # 14

De quelques gros mots tout tabous.

PROTECTIONNISME ? (ou ISOLATIONNISME ?)
Le protectionnisme n'est forcément de la xénophobie.
Appel d'offre : c'est le moins cher qui gagne, même s'il doit venir de 2 000 km. (Cas récent en Angleterre pour une construction de centrale nuke : ouvriers importés d'Espagne et Portugal. Protestations des chômeurs anglais. Et problème en Irlande à cause de l'immigration polonaise).
Ce qui est en cause, plus globalement que la xénophobie, c'est le libre échangisme libéraliste mondialiste, bien sûr — et la non prise en compte de la question pétrole/effet de serre.
Ce n'est pas (pas forcément) que les Grands Bretons n'aiment pas les Espagnols ou les Portugais, ni qu'on n'aime pas les Italiens ou les Chinois. C'est qu'on préférerait que le boulot aille à des Français, c'est à dire des voisins, des cousins, des frères, fils, filles… Ce n'est pas normal ? Je sais bien que Le Pen tenait ce genre de discours d'un bon sens sans doute primaire. On n'a rien contre les étrangers mais on préfère ses proches, ceux qu'on connaît déjà, ceux qui parlent la même langue… La tribu, quoi…
Sans oublier l'aspect économique : comment se fait-il qu'un ouvrier venu de Pologne coûte moins cher qu'un ouvrier venu de vingt km d'ici ? Est-ce (économiquement) rationnel ? Est-ce (économiquement) juste ?
Et l'écologie ? Faire venir en Angleterre des ouvriers espagnols pour des chantiers, c'est des trajets en avion ou en bateau, des transports, c'est du pétrole, c'est des gaz à effet de serre, c'est du réchauffement planétaire. Absurde.
Et finalement, pour moi, cet argument est suffisant et renvoie tous les autres au passé décomposé. A un moment ou l'autre, d'ici vingt ans, on sera forcés de relocaliser, faute de pétrole, alors autant s'y mettre tout de suite.
« Qu'un pot de yaourt, une crème solaire ou un lecteur de CD, sous prétexte qu'ils ont coûté moins cher à produire à tel endroit de la Terre, fassent le tour de la planète pour être vendus ailleurs dans le monde ne peut plus être envisagé comme un système viable puisque le coût réel des échanges devra désormais se mesurer à l'échelle d'une énergie qui va devenir chère, rare et précieuse. / Puisque cette mondialisation-là s'avère insoutenable, c'est au contraire vers une relocalisation des activités économiques et vers le raccourcissement des échanges qu'il faut aller. (etc) » (Jean-Paul Besset. "Comment ne plus être progressiste… sans devenir réactionnaire". Fayard)

RE-LO-CA-LI-SA-TION ?
Délocaliser ou relocaliser la production automobile ?
La question n'est pas là.
La question est que les automobiles qu'on fabrique ici ou là-bas sont dépassées… et sans doute même que "l'automobile" est dépassée.
Dépassée par les évènements ? Oui, par les évènements qu'elle a elle-même provoqués : pénurie de pétrole, production de gaz à effet de serre, production de déchets.
(Mais on pourrait en dire autant des vaches ou des cuvettes en plastique – rose.)

Alors…
RE-CON-VER-SION ?
Qui peut le plus peut moins :
Avec un peu de soin,
Un constructeur auto
Peut produire des vélos,
Des éoliennes et des persiennes…
Des charrette à chwal,
Des bateaux à voile,
Des poêles à poil,
Des fours à pain,
Des cuves à vin…
Et des cloches à fromage.
(Ou, pourquoi pas ?, RIEN.)

De même, les tailleurs et producteurs de fringues (y en a encore, en France ?) peuvent devenir ravaudeurs, réparateurs, repriseurs de fringues ; les bétonniers tailleurs de pierre ; les marins-pêcheurs éleveurs de poissons rouges en bocal ; les semenciers jardiniers ; les fabricants d'engrais éleveurs de vers de terre composteurs ; quant aux producteurs de pneus et chambres à air, ils n'ont qu'à fabriquer de capotes anglaises, ça sera plus utile ! etc.

RETOUR VERS LE FUTUR : LE LOCAL
Face au fiasco (prévisible et prévu) de la société néolibérale, civilisation vampire autodévoratrice, nous espérons quelque chose comme un retour à l'Etat-Nation nationaliseur, au protectionnisme antiglobalisation… Un resserrement sur soi ? Un rétrécissement ? Ça aussi, dans le discours politico-médiatique, c'est tout de suite pouah-caca tant le mythe de l'expansion permanente est ancré. Pourtant, face à un danger, un repli stratégique sur des positions préparées à l'avance n'a rien de honteux. On se remet dans des conditions déjà connues, analysées, maîtrisées, on se calme, on se reconcentre sur le niveau local, dans une configuration contrôlable parce que plus petite ("small is beautifull") et parce que cohérente (territoire, langue culture, distances courtes, équilibre des échanges internes… échelon du pays ou même échelon de la région…) On se repose, parce qu'on n'a pas à gérer le monde entier à la fois, avec l'affolement que cela suppose. Et c'est dans ce calme revenu que l'on peut repenser le monde, les contacts, les échanges, le système, l'homme global… non plus comme une fatalité subie dans la panique, mais comme un plan d'avenir. « On arrête tout, on réfléchit et c'est pas triste », disait Gébé. Oui, mais non : on n'arrête pas tout, mais on rétrécit le champ d'action, on se limite à une surface dont on puisse évaluer en permanence les tenants et les aboutissants, les entrées et les sorties, les besoins réels et les capacités réelles.
On échappe au global énorme "boîte noire" pour s'installer dans un local éclairé ou éclairable. Et on écolonomise sur les transports.
Le "local", pour commencer, pourrait être l'Europe. ("Continental" ?) C'est une proposition d'Emmanuel Todd :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Todd
http://www.protectionnisme.eu/index.php

PROTECTIONNISME européen, puisqu'il faut l'appeler par son nom. Et pourquoi pas national, et même régional, et même départemental, et même chez moi, tiens : un potager et une éolienne ?
Il s'agirait d'abord et avant tout de ne plus être dans la dépendance extérieure. Pas tellement la dépendance d'autres États, étrangers, fournisseurs ou clients, que la dépendance d'un système général monstrueux, énorme, flou, flasque, liquide, chaotique, multinational. On peut effectivement nommer ça protectionnisme, patriotisme économique, ou souverainisme, ou isolationnisme, tous ces gros mots… Si on veut, mais ce n'est pas la question. Ce n'est pas une question politicienne ou nationaliste ou xénophobe ou raciste. C'est une question de survie.
Il s'agit surtout de retrouver une maîtrise.
(Exemple, dans le même ordre d'idée : la Réunion, avec la chikungunya, perd sa principale ressource : le tourisme. Il est aberrant et dramatique qu'une ÎLE ait mis ainsi sa population à la merci de l'extérieur (la métropole ou l'étranger, peu importe) pour sa survie. On peut penser aussi à la GB, grande libéraliste et pourtant à la mentalité foncièrement indépendante, qui se retrouve à la merci des échanges internationaux, donc du pétrole, pour son alimentation, la nourriture de sa population. Quant aux Guadeloupéens ou Martiniquais, ont-ils vraiment besoin de faire venir à prix d'or de métropole des pommes – fruit exotique, pour eux ?)

RÉDUCTION DE SURFACE
À l'intérieur d'un continent même ou d'un pays même, quelle devrait être la surface d'une "île", capable de s'autogérer financièrement et économiquement, s'autoalimenter, de vivre en (quasi) autarcie industrielle, agricole et distributive, de survivre sans dépendre de quoi que ce soit d'extérieur – à commencer par les transports, c'est-à-dire le pétrole (son prix, bien sûr, et ses conséquences écologiques, mais tout bonnement son existence – qui touche à sa fin) ? Là encore, bien évidemment, le raisonnement parti de la crise financière rejoint la crise écologique, à laquelle, de la même façon, on devrait répondre par le resserrement sur le local. Et je dis bien resserrement et non repli (autiste).

IMPORT EXPORT
On n'a pas besoin de devises, on a besoin de bouffer. Bon sens primaire. La seule logique de base à laquelle il faudrait revenir, dans les pays du Sud, en particulier, c'est de travailler à produire à bouffer pour soi. Pour son propre pays, si on veut, mais d'abord pour soi et sa famille. Ce n'est pas une logique "économique" au sens où l'économie est fondée sur le commerce, c'est une logique économique au sens où le premier devoir économique d'un État est de s'assurer que les habitants du pays aient à bouffer. Une logique nutritive, si on veut. N'importe quel pays pourrait redevenir à majorité paysanne : chaque famille produirait principalement, d'abord et avant tout, sa propre nourriture — autant que possible.
Quid des ouvriers, des intellectuels, des bureaucrates, des petits commerçants, etc…? D'abord, s'ils ne travaillent pas douze heures par jour, ils peuvent avoir du temps libre pour faire un potager : les jardins ouvriers, ça existe encore, le potager derrière le pavillon de banlieue aussi. (Les plantations sur les balcons aussi, mais là c'est rare que ce soit pour manger…) Et puis un poulailler ou trois clapiers…
Ensuite, comme, bien sûr, ça ne suffit pas, il faut quand même que des paysans produisent plus que leurs besoins propres et vendent aux gens de la ville ou à des commerçants qui distribuent en ville. Ceci apportant aux paysans en question l'argent qu'il leur faut quand même pour… je ne sais pas… le sel. Disons les outils, l'énergie — et du superflu. (Vous voyez, je casse pas tout. Mais je ne cite pas assurances ou médicaments…)
Les gens qui ont connu la guerre de 40, mes parents par exemple, (moi je suis né pendant) avaient ça : un pavillon loué à Auvers-sur-Oise, un vélo, des clapiers, une pompe dans le jardin, des arbres fruitiers. Et ma mère savait tricoter, coudre, retourner des vieux vêtements, tailler des fringues d'enfants dans les vieux blousons de mon père, fabriquer des pantoufles avec des vieux tapis. Et faisait cent km en vélo pour aller chercher du beurre chez des cousins de Normandie. Je veux dire par là que c'est possible, quand les besoins s'imposent.
Economie de "survie" imposée par les circonstances exceptionnelles ? Ou économie de vie, simplement, les circonstances constantes étant la nécessité de bouffer tous les jours. Point.



Dessin extrait de Monsieur Mouche 2, de Jean-Luc Coudray et divers illustrateurs. Zanpano éditeur 2005
http://www.zanpano.com/index.php

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