mardi 13 juillet 2010

SUCKER CITY


LO N°394 (12/07/10)

DÉFORESTATION
— A chaque seconde, la forêt primaire perd la surface d'un terrain de football !
— Qu'est-ce qu'ils vont devenir, nos enfants ?
— Footballeurs.
(REDIFF' LO N° 221 (03/07/08)


LA FIN DU MOND-IAL
— La FFF se plaint d'ingestion poiltique
— Mais… C'est que… les bleus, c'est un peu l'équipe de France quand même…
— Moi je me plaindrais plutôt d'indigestion footistique.

C'est la fin du mondial : Sucker City se vide, les vuvuzelas au vestiaire, Mandela rejoint sa prison, la coupe déréglée du monde vendu à la découpe, n'en jetez plus, la coupe est pleine, elle déborde même ! Les bleus sont repartis la queue basse et la tête entre les jambes. Et les autres, les derniers sur place, Espingouins et Pays-Bassistes, après quelques bons échanges de gnons à défaut de buts, en font autant…
Mais on n'a pas fini d'en parler, sur les écrans, il faut la boire jusqu'à l'hallali, jusqu'au coupable, la coupe amère. Car la France veut des coupables ! Et déjà, on s'énerve : on a beau interroger les joueurs, les coach, les patrons de la FFF, Lilian Thuram, Rama Bachelot et Paul-le-Poulpe, il n'y a pas, il n'y aura pas de révélations. Rien sur les "vraies raisons". (Je parle bien sûr du fiasco – terme consacré – des bleus.) C'est qu'il n'y a pas de "vraies raisons". Toutes celles qui ont été évoquées par les commentateurs sont vraies. Tout est vrai. Il n' y a rien d'autre que ce que l'on a vu.
Mais… on veut des coupables !
Pourquoi ? Parce qu'on veut du sens. Pour faire son deuil, il faut du sens et de la vengeance au nom de la justice. Si on n'a pas une "vraie réponse", c'est très dangereux car la première venue conviendra. Alors chacun y va de son bouc émissaire préféré : le coach, les joueurs convertis à l'islam, les noirs, les Bretons, la FFF, l'arbitrage qu'on veut pas vidéo, les sponsors, l'argent, Rama Yade, Bachelot, la presse, l'éducation, la mentalité des cités, Philippe Val, Sarko, le libéralisme économique ultra mondialisé… Et pourquoi pas "les nazis", aussi ? C'est bien, "les nazis", c'est pratique, c'est un méchant indiscutable ! Ça coûte juste un point Godwin…
D'aucuns, par exemple, voient dans le fonctionnement de l'équipe de France de foot la "mentalité des cités". C'est vrai, mais cette mentalité, cette culture de groupe, c'est celle de n'importe quel microcosme humain qui vit selon ses propres règles et considère que l'extérieur ne peut pas comprendre celles-ci. Une éthique clanique, ou tout au moins des codes de bande ou de secte ou de mafia. Coupure, une autoghettoïsation, l'omerta, culture du secret qui suppose que toute révélation est une trahison, que toute accusation ne peut émaner que de félons. Paranoïa de groupe.

Le problème c'est que tout cela est vrai, toutes ces causes du fiasco, désastre, supplice, catastrophe, affaire, calamiteux, cataclysme, coup de tonnerre, guignolade, pantalonnade, honte, lamentable, minables, naufrage, psychodrame, rocambolesque, séisme, supplice… (C'est juste la liste de quelques termes les plus couramment employés par les commentateurs…)
Chaque analyse, à un niveau ou un autre, contient sa part de vérité. Tout est vrai, toutes les analyses sont justes. (Sauf peut-être "les nazis", pour une fois…) Mais ça ne nous va pas. On veut une réponse simple : un coupable, un sacrifice expiatoire, un meurtre rituel : on le pend haut et couille, on le guillotine comme un louisseize, on l'écartèle comme un ravaillac…! Et après on est tranquille… On rentre chez soi, relaxé comme un Pasqua, déstressé, on se lave les mains et on rallume la téloche.
Mais… Au Mexique y a l'inondation d'Alex, les populations évaculées, les morts… Dans les bouchons futés, faut s'humecter, s'hydrater, y a des trous dans la couche d'ozone du petit sur la banquette arrière, tu ralentis, tu avances et tu recules, comment veux-tu que je te canicule, Angelina ?… Clip : Yannick Noah chante remember Angela Davis… Rio : le Crocovado, tout juste remis à neuf (les enfants des favelas sont ravis) doit porter le deuil d'un match perdu (les enfants des favelas sont dégoûtés)… Ha¨ti qui n'en finit pas de gémir… Chaque jour de nouvelles réfellations (sans le dentier, c'est mieux) dans l'affaire Bettancourt-Banier-Woerth et ses enregistrements pirates clandestins sans papiers, bien que sous couverture d'un fiscal bouclier, ses îles fiscalement paradisiaques, ses allers-retours en Suisse pour acheter du chocolat détaxé… Le pôle-emploi qui se réchauffe et fond comme merde au soleil, ce qui est bien normal vu que les employés sont des "radiateurs" dont le boulot consiste radier, c'est-à-dire à faire fondre les statistiques… Parisot en rose est réélue à la tête du madoff… Ça fusillade à Villiers-le-bel ou à Puteaux, et ça lynche sur l'autoroute. L'Hadopi maudite entre en application… L'expérience des cagnottes pour l'assiduité des élèves est abandonnée… Des caméras partout sur le réseau RER, 12 000 d'ici 2013 (et les marchands de caméras de se frotter les mains)… Le Prez dessondé à 26%, forcé d'aller tâter le cul des vaches d'altitude en Aveyron et d'augmenter sa dose de chocolat… Le délit de violence psychologique adopté… La Grèce générale… Total condamné à rouvrir la raffinerie des Flandres… La reprise d'Heuliez… Et celle du Monde… Toyota rappelle encore 270 000 véhicules (mais où ils vont les mettre ?) et Apple rapple ses i-Phones défectueux. Les soldes d'été fondent sur le bon peuple et le train de vie gouvernemental : quatre ministres par voiture, on mangera Rama Yade, on fumera Christian Blanc, on vendra le Palais de l'Elysée à la découpe et Fort Boyard à Khadafi. La garden party du 14 juillet sera recyclée en potager carotte-pomme de terre-poireau. (Et pourquoi on supprime pas plutôt le défilé mirlitaire ?!) Les secrétaires d'Etat seront priés de prendre leurs vacances en Vendée, à Brive-la-Gaillarde, dans le Var ou à Douarnenez, armés de pelles à algues vertes.
Demandons des asiles avant que le grand cric nous croque et que le moloch avide nous donne son aval !

Hé oui, la réalité est folle et con. Ou simplement complexe. La réponse simple, le coupable bon à couper, ce n'est pas la réalité.  La cause unique n'existe pas. Les causes sont des faisceaux de causes. Le principe de non-contradiction est un leurre. Le tiers n'est jamais exclu. Mieux que la dialectique : la polylectique. Depuis que la télé est en couleurs, la causalité n'est plus noire ou blanche. Et pas grise non plus : la réalité (= le chaos) est bariolée, autant que les vuvuzelas, que le ballon jabulani aux couleurs de l'Afrique du Sud, les chapeaux délirants des supporters. La réalité est moirée, comme ces tissus dont la couleur change selon l'éclairage, selon l'angle de vue, les plis…
En fait, je dois avouer que le foot, je m'en fous un peu-beaucoup. Et que je n'y connais rien. (Que personne n'essaie de m'expliquer un hors-jeu…) Ce qui m'intéresse là dedans, c'est la question d'actualité, donc une question de société, d'économie, de politique, d'état du monde. J'aime bien de temps en temps, j'avoue, regarder du tennis (surtout quand c'est les sœurs Williams…), de la gymnastique pratiquée par de jeunes athlètes féminines à peine pubères et… euh… Hum, restons en là… de la natation ou du ski pour des raisons d'histoire familiale. Bref, si je regarde un sport, quel qu'il soit, c'est pour voir du beau jeu, du beau spectacle, de la dynamique, de la créativité, de la verve, du panache. La nationalité, on s'en fout ! Ce que gagnent les joueurs aussi…
Pourtant, en dehors du plaisir personnel, il y a ce fait politique : les bleus, c'est (c'était) en principe "l'équipe de France". Or les bleus, les footeux, en réalité, sont des sportifs privatisés, délocalisés, mondialisés : apatrides. Ils se vendent au plus offrant, d'un club à un autre, peu importe le pays, peu importe avec qui on joue. Il n'y a pas d'"équipe de France", il y a des individus gagnant très bien leur vie par ailleurs, qui, pour l'occasion, se réunissent et sont censés représenter la France. Anelka viré rentre chez lui à Chelsea, GB, pas à Trappes.
Le foot ne doit pas être cocardier, paraît-il, pourtant c'est lui qui a permis depuis soixante ans aux pays d'Europe de se foutre sur la gueule symboliquement plutôt que de se faire la guerre. Le foot est privatisé, OK, mais en même temps l'équipe de France représente "la France", ce n'est pas un club privé, c'est la France = nous. L'équipe et son maillot font partie de l'identité nationale, autant que le drapeau ou la Marseillaise ou le 14 juillet… et bien entendu le tour de France. Je n'aime ni les uns ni les autres… J'ai toujours du mal à m'identifier en tant que "Français", sinon par la langue, et je ne serai jamais ni supporter ni nationaliste… Pourtant la francéité fait partie de mon histoire, de ce qui me construit… comment pourrait-il en être autrement ?… et j'apprécie d'être né ici et de parler cette langue…

Bon. Là je parlais du foot et plus particulièrement de la non-participation de l'équipe de France (dite "les bleus") au mondial 2010 en Sud Afrique. Mais ça peut s'appliquer tout pareil aux deux autres évènements encombrants de la quinzaine : l'éviction de Didier Porte et Stéphane Guillon de France Inter et l'affaire Bettancourt-Woerth.
Il n'y a pas de "vraies raisons" à tout ça : TOUT EST VRAI.
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Rien à voir, mais 2 minutes 42 de pure beauté :
http://www.youtube.com/watch?v=L4aTLurY3gw

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