samedi 31 janvier 2015

INSULTE


Catherine Millet : « Notre société a institué le respect de l'autre ; nous devons être attentifs à la frontière au delà de laquelle le respect de l'autre devient une puce implantée dans nos consciences comme un Big Brother diffus. » (Libé du 10-11/01/15)
Si quelqu'un insulte ou injurie un autre quelqu'un, celui-ci peut se défendre, y compris par un procès. J'entends, dans les deux cas, quelqu'un de vivant. Si on insulte une idéologie, un livre d'auteur inconnu, un prophète d'il y a 14 siècles, aucun d'eux ne peut faire un procès. Ni le Coran ni le prophète ne peuvent porter plainte, ni "la religion musulmane", ni "l'islam"… Ceux qui se plaignent, voire se vengent (puisqu'ils ne se contentent pas d'un procès…), sont des représentants, des héritiers, des "ayant droits", comme on dit dans l'édition… Mais "ayants droits" autoproclamés, seulement autoproclamés : ce n'est ni Jésus, ni les auteurs des évangiles, ni la Bible qui ont élu le pape actuel (*). Et dans l'islam, c'est pire, puisqu'il n'y a pas de clergé officiel, hiérarchisé, avec à sa tête une voix faisant autorité.
On a donc des milliers de voix dispersées, de gourous sans autre légitimité que celle qu'ils se sont accordée eux-mêmes, avec l'approbation de quelques voisins sous l'emprise du hashish et d'un instruction limitée à un unique livre, se référant à tel ou tel discours, telle ou telle sourate ou tel hadith (commentaire) plus ou moins tardif. D'où un certain flou… pour ne pas dire un gros paquet de n'importe quoi. Le Coran, comme la Bible, c'est l'auberge espagnole, on y trouve ce qu'on y apporte, c'est à dire tout et son contraire, les injonction du type "pas de contrainte en religion" aussi bien que celles du type "faut tuer tous les impies".
Alors considérer que quelqu'un peut "insulter" le prophète, le Coran ou la religion… c'est comme si je faisais un procès à qui, de nos jours, traiterait Voltaire de petit courtisan arriviste, ou Rousseau de pédophile, ou Napoléon de tyran sanguinaire, ou insulterait la Relativité d'Einstein.
Et procès, encore, c'est rien… Quand on en est aux coups de flingue.
(*) L'avantage du pape c'est qu'il est l'élu d'une structure pyramidale mise en place depuis des siècles. Ça ne veut pas dire qu'il soit détenteur d'une vérité quelconque, transcendante, mais que, investi d'une autorité officielle, ce qu'on appelle une légitimité, sa parole est admise, en principe, par tous les croyants chrétiens et est donc considérée par eux comme indiscutable.)


jeudi 29 janvier 2015

FRONTIÈRE

Alerté par un post suivi par un petit fil de discussion sur Facebook, je découvre ce billet d'humeur de Christophe Conte (que je ne connais pas), illustré par Coco (que je connais un peu, ne serait-ce que comme consœur en dessin que j'aime dans le Psikopat et pilière de Charlie Hebdo) à propos de Geluck (que je connais un peu aussi, comme confrère et que j'aime aussi).

Sans doute que je ne me serais pas d'avantage intéressé à cet article s'il n'avait été illustré par Coco. J'avoue tout de suite que je lui en veux un peu d'avoir illustré servilement une idée aussi bête que celle qui place le courage dans les couilles.
Après avoir lu ça et quelques commentaires (lisibles, pour une fois…), un peu traumatisé, j'ai pris le soin de feuilleter ma collection de Siné Hebdo et Siné Mensuel, où Geluck a toujours un dessin – et souvent hard. Pas de "caricature de Mahomet", non. Nombre de gags à base de burqa, OK. Et dans le reste du journal ? Siné, Jiho, etc. ? Des Mahomet ? Apparemment pas : des burqa, des minarets (suisses), quelques combattants alqaïdesques, benladeniens et autres ayatollahs… Peut-être un Mahomet dans un dessin de Delessert dans le N°2… À part ça, selon la bonne vieille tradition anticléricale française, des curés, des papes, des évêques, des Jésus à profusion…
Du coup, qu'est-ce qu'il se passe ? Je ne sais pas ce que Geluck a dit exactement, à part qu'il trouve DANGEREUSE la couverture dite "du pardon" du Charlie Hebdo dit "des survivants". Couverture peut-être "dangereuse", oui, les manifs et les attentats qui ont suivi dans quelques pays musulmans en font preuve, mais nécessaire. Pour moi, c'est bien LA couverture qu'il fallait faire, dans ces circonstances, et forcément avec Mahomet.
Détails ici sur les déclarations de Geluck :
Est-ce une raison pour le traiter de sans couilles ? Chacun a sa limite et en est responsable, et personne n'est TENU de dessiner quoi que ce soit ni d'approuver inconditionnellement cette couverture.
… À moins que…?
Y aurait-il une sorte de… sinon de "terrorisme", du moins de CHANTAGE exercé par les faits, par le drame ? Et dans un double sens. Une frontière qui nous serait imposée et qui nous imposerait d'être en deçà ou au delà ?
Dans le domaine de l'humour, en principe, en France, il n'y a pas trop de frontières. Mais prenons l'antisémitisme : frontière imposée par l'histoire du XXème siècle, puis par la loi républicaine. (Je ne sais plus qui disait « À cause de ce connard de Hitler, on ne peut plus être tranquillement antisémite ! ») Partant de là, dès qu'on veut faire une blague sur les Juifs, on marche sur des œufs…
Il y aurait donc maintenant, dans le dessin de presse et dans l'humour en général, une nouvelle frontière. Un tabou… (mais je tiens à l'idée de frontière parce que il y a deux cotés.)
• D'un côté une certaine forme de l'islam impose le tabou de la représentation (satirique ou non) du prophète Mahomet (Mohamed, Muhammad…). Tabou irrationnel de la part des émetteurs, puisque, que je sache, il n'y a aucun interdit à ce sujet dans la loi coranique.  Quant au récepteur (nous les mécréants) a priori on peut ne pas du tout éprouver le besoin dessiner Mahomet – parce qu'on s'en fout ou parce qu'on pense pouvoir critiquer l'islam et ses maladies sans sortir le prophète de sa boîte. Mais on peut aussi se sentir tout à fait libre de transgresser le tabou, ne serait-ce que parce qu'il n'y a aucun interdit en ce sens dans la loi de la république. Donc, pourquoi pas ? Et c'est ce qu'ont fait quelques dessinateurs, les Danois du Jylland-Posten, les Charlie Hebdo et quelques autres.
MAIS (et ce MAIS là est énorme) une bonne douzaine de dessinateurs et journalistes de Charlie Hebdo en sont MORTS.
Partant, les assassins confirment jusqu'à la folie le tabou islamique de départ, l'élèvent à la puissance douze, transforment un tabou crétin en tragédie. La frontière à ne pas franchir n'est toujours pas imposée par la loi, ni par l'histoire, ni par la morale humaine ou la politesse ("le respect"), mais, maintenant, uniquement par la TERREUR. Et non pas une terreur abstraite, lointaine, mais la mort violente, inimaginable, de gens qu'on aimait, qu'on lisait en riant… nos copains. Chantage maximal.
• Et voilà l'autre côté : cette mort instiguerait, si l'on en croit ce blogueur que je ne connais pas et ne souhaite pas connaitre, un autre tabou, un autre coté de la frontière, l'autre facette du chantage : la solidarité avec Charlie Hebdo nous imposerait l'obligation d'approuver sans réticence cette dernière couv' ou les précédentes mettant en scène Mahomet. (Je ne dis pas un instant, bien sûr, que c'est eux, les survivants, qui imposent quoi que ce soit…)
En retour de l'assassinat, un nouveau "politiquement correct" ou un nouveau "sacré" (compassion, solidarité avec les morts) nous sommerait de choisir notre camp : forcément celui des gens prêts à se faire tuer pour dessiner Mahomet ? Euh… Pour ma part, je l'ai fait deux ou trois fois et je ne m'en cache pas, c'est sur Facebook ou imprimé dans l'Annuel du dessin de Presse (*)… mais se faire flinguer pour ça ?!
Avant, on pouvait apprécier ou non ces portraits, en rire ou s'en offusquer… ou s'en foutre. Et maintenant nous serions dans cette merde de double contrainte ? Nous serions mis en demeure de prendre parti : résistant ou collabo ? Chacun est sommé de se situer d'un côté ou de l'autre de la frontière. Si je n'approuve pas SANS RÉSERVE les représentations, satiriques ou non, de Mahomet je suis un gros lâche, une couille molle qui ne mériterait même pas d'afficher "Je suis Charlie"…?!
• Morale de l'histoire ? J'en sais rien, je ne fais pas de morale. Je pense que je vais continuer à fonctionner comme auparavant, je ne me priverai pas de dessiner Mahomet ou qui que ce soit d'autre selon que je jugerai ça opportun ou non. Ensuite, par rapport aux journaux, ça restera toujours des propositions. Les rédac-chefs et directeurs de la publication (qui peuvent avoir d'autres critères que les miens) feront comme ils voudront.
(*) En passant, Pat à Pan, l'éditeur de l'Annuel du dessin de presse en question, dont la couverture 2013 s'ornait d'une kyrielle de Mahomets nommément désignés, n'a pas été cocktailmolotofisé ni kalachnikofisé… sans doute parce que les crétins djihadistes ne mettent jamais les pieds dans une librairie et n'ont du dessin de presse qu'une seule connaissance : les couvertures de Charlie Hebdo vues en passant devant un kiosque.

D'autres posts devraient suivre autour des thèmes Charlie, Islam, humour, etc.

J'ajoute que le Monde Diplomatique N°731-Février 2015, en plus d'un gros dossier sur les attentats de janvier, leurs origines et leurs suites, publie en dernière page un article de Pierre Rimbert qui va dans le même sens que ma chronique ci-dessus : "Soyez libres, c'est un ordre !"


Dessin de Mix&Remix dans le Spirou Hors Série CH


jeudi 8 janvier 2015

Je suis dessinateur de presse

Je suis dessinateur. 
Je suis dessinateur de presse.
Je ne serais pas dessinateur de presse s'il n'y avait pas eu Hara-Kiri, La Gueule Ouverte, Charlie, Cavanna, Gébé, Reiser… Cabu, Wolin, Honoré, Tignous, Charb et les autres, encore vivants j'espère.
Je continuerai à faire le dessinateur de presse.
Je n'ai pas peur.