mardi 2 janvier 2018

"ALONE ON MOON" / 6


C'est un soulagement de savoir que la pluie tombe verticalement
Il a tant plu ces derniers temps que c'est la jungle à la maison.
Tropicale et trop calme après la mousson.
La lumière vacille verte, rayée.
Les bananiers fleurissent et les bayous glougloutent.
La radio n'émet que des borborygmes : une symphonie imbibée, molle, déroule ses vagues accusatrices dans mes lobes et synapses.
Les perroquets iroquois dansent du scalp sur le sable. (Les perroquets parlent toujours trop.)
Les singes se signent les uns les autres (avec ironie).
Les octopus en fleur, onctueux, parlent avec componction.
Les gorilles s'égosillent en rafales.
Des scolopendres plats escaladent les troncs et laissent pendre leurs pattes escalopes, ils oscillent du coccyx et l'écorce luit.
Des Zo'és nus comme des Èves dansent au ralenti : ils n'ont pas de montres, ils sont impeccablement propres et les moustiques géants négligent leur peau.
Bientôt c'est une invasion de pygmées qui s'annonce. Ils sont tatoués de pied en cap mais ça ne fait quand même que des tout petits tatoos sur des tout petits totems. Les peaux se vendront mal.
Des alligators japonais nous remercient pour le cadeau. Leurs dents sont triangulaires, leurs écailles hexagonales, leurs pattes cubiques, mais avec rage. Leurs corps exaltés exhalent un suint de suie au sens moisi du terme.
Craquement des crocodiles et fuite des anacondas, démolisseurs anachroniques.
Les bonobos enculent les tarentules – de justesse.
Des requins sans scrupules squattent les places de parking handicapées, bientôt remplacés par des fleurs carnivores dévoreuses d'insectes ancestraux (tandis que pompent les marsouins).
Des sapajous marsupiaux dépiautent des cajous, basculent en machouillant leurs joues, croquant des fruits fendus, tandis qu'une ondée plombe l'atmosphère.
Un panda mange ses bambous, les feuilles seulement, pas les troncs qui sont trop durs à ses dents d'ours-mouton. Les Chinois nous revaudront ça. Ils nous revendront sans rire leurs chapeaux iconiques, paniers percés passoires et leurs pagnes en peau de zébu.
Dans la savane, bercées par la brise, les autruches s'endorment la tête dans le cul, du sable plein les larmes. Il n'en faut pas plus pour enrayer le soleil couchant.
Les cactus détraqués défient les cacatoès au karaoké.
Et puis c'est l'éruption du Polimagoo, bientôt suivie d'un tsunami de force 7 aux vagues qui ravaguent les rez-de-chaussée. Il y aura des dégâts collatéraux dans la marine. Envoyez le groupe d'intervention, faites chauffer les voiles. (Mais les sauveteurs viendront trop tard.)
La mousse espagnole engluée pend des branches du figuier banian du salon et collectionne les mouches. (Grésillent les mouches mourantes engluées.)
Les huitres aussi s'y collent par ordre de taille, s'y décomposent, empestant accroupies bâillant avec les moules ouvertes traversant la mangrove en pestiférant ses postillons empestant l'atmosphère. (Il faut avouer qu'une huitre fermée, c'est moche, mais quand on l'ouvre, c'est magnifique : on dirait un mollard ! Et quand elles baillent, c'est bon signe : le déluge ne va pas tarder.)
Sous les ondes sales putrides les poutrelles des soubassements des pontons avec leurs yeux horribles de bateau ivre.
Il reste une dernière cabine téléphonique élevée en plein ciel.
(à suivre)

 

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