vendredi 9 février 2018

ALONE ON MOON / 11


(La vérité n'a que peu à voir avec l'histoire, mais une fiction n'est pas un mensonge.)
Carnet de bal.
Le crabe sous hypnose, marchant du côté de chez Swann rencontra Marcel réincarné en cinéaste. À l'ombre des jeunes fils de fer, les enfants de Paris faisaient la queue d'atmosphère devant les portes de l'ennui.
Les héritages, parfois, sont pénibles : comment se partager une boite à musique, un carton à dessin, un balai de chiottes, un fusil à lunette, un entrechat ? Et les coffres pleins de mots ?
Don Juan est malade – souviens-toi !
Il est au bar, noir, noir démon, trafiquant d'étrange, avec une Amazone aux pieds bleus. Le zinc est incandescent et les tortures pleuvent par entrechats. Le monde a un son d'orgue Hammond orgueilleuse, les lumières tamisent des cocktails d'orangeades, amers comme un veau. Le barman, désinvolte, a bien trois yeux, comme prévu.
Évitez les pluies acides et les chutes de canards.
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Trouble in Paradise
« Un torrent surgi de son âme dévasta son subconscient… » Mais… Qu'est-ce que je raconte, moi ?!
Rien. Everything is absolutely NORMAL.
La plage est désertée, ma main aussi, la pluie s'écrase sur la nuit, le vent bouffle et je nage entre deux comas. Je jette un œil vague sur la mer en contrebas. (La mer est toujours en contrebas.) Les tsunamis se tiennent sages et les crabes attendent le déluge. (Ils sont si naïfs, les crabes.) Le sable est bleu comme un enfant. Au loin, Charybde oscille dans la brume hydrophile, les sirènes chantent, bien cachées, les poissons nagent entre deux eaux. (Pourtant, il n'y a qu'une eau, fluide habitant le monde dans toutes ses dimensions, à la forme de tous les creux, de l'océan unique à l'atmosphère unique, et terres, ruisseaux, rivières, lacs, glaciers, aventures souterraines, et jusqu'aux cuvettes de chiottes et nos vessies.) Les vagues sont lourdes sur la mer, elles n'iront nulle part – parce qu'il n'y a nulle part où aller : le monde est clos, l'océan est unique, tout autour de la Terre qu'on pourrait faire ronde.
Nous pensons sans cesse par début et fin. Nous pensons un fleuve de sa source à la mer, c'est une approximation trompeuse. La source, déjà, est une vue de l'esprit cartographique simplifiant : il y a la pluie, le ruissèlement, la rivière souterraine, etc.  Quant à "la mer"… ? Dans l'embouchure ou le delta, où finit le fleuve, où commence la mer ? (La carte, décidément, n'est pas le territoire.) L'eau du monde est un fluide non fini, continu, comme l'espace, comme le temps. (Nous, dans un but d'illusoire maitrise, nous adorons découper l'espace, le temps, les choses et les êtres en tout petits morceaux, en miettes conventionnelles.)
Ravagé de virages de vagues, je rentre à l'hôtel. Ne m'attendez pas.
Ceux qui, de retour à l'état sauvage, pénètreront dans la mer salée n'en reviendront pas. Ceux qui, aveuglés, pénètreront dans la caverne platonique n'en reviendront pas. Ceux qui, pieds enflés, pénètreront dans la grotte vénusienne où la sphinge pose ses énigmes n'en reviendront pas.
Moi, au bar, au son des mandolines, je boirai du champagne rose avec une paille assez large pour laisser passer toutes les bulles. Quelqu'un entrera me dire que le petit chat est mort. C'est triste, mais heureusement, Gina Lollobrigida a un décolleté généreux.
À qui nuit la beauté ?

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