dimanche 27 mai 2018

ALONE ON MOON / 27


Stratégies étrangères.
Au bord des routes de province poussent les putes – short et peau bronzée car c'est déjà l'été. Elles s'appellent toutes Lola. Pour appâter le gibier, elles ne racolent pas, elles attendent juste que la route ralentisse à l'ombre et largue son lot de mâles en rut. Elles vendent cher leur peau, leur chair, leurs hormones et leurs viscères. Leurs fluides corporels. La peau des fesses, ça coute. Les capotes et klinexes ne sont pas compris dans le prix.
Au bord des routes de province, il y a des grues de chantier, aussi, qui construisent maisons, lotissements et cités intermédiaires entre retraite et cimetière. (Le terme grue est aussi utilisé pour désigner les putes, semble-t-il. Mais pourquoi ? Et pourquoi y a-t-il autant de synonymes – tous vieillis – pour prostituée ?)
Poussent aussi là des antennes de télécommunication par micro-onde, dernières traces d'une civilisation de science-fiction. Les étoiles sont paraboliques et les GPS tiennent compte de la relativité d'Einstein (qui l'eut cru ?). Il est bien loin le temps des télégraphes, du morse et du poste à galène.
Je n'ai rien à reprocher aux éoliennes, qui pourraient aussi s'appeler Lola et qui, elles aussi, poussent dans le décor au bord des routes. Mais je préfère prendre le train, le "chemin de fer".
En train, je n'ai rien à dire, rien à décider, je suis impuissant, porté par les rails du destin. Gare de départ, destination, roulage jusqu'à une arrivée opinée en gare prévue à l'heure prévue. Le train est une machine à métaphorer le destin inéluctable. Mais qui pourtant y échoue. Tentative vaine : le hasard alcoolisé est toujours prêt à reprendre ses droits : incident ferroviaire indépendant de notre volonté, rupture de cathéter, fuite de lockheed, embardée de passage à niveau. Et puis parfois, sur l'échiquier de la carte SNCF, deux trains décident de roquer, je me retrouve à mon point de départ sans avoir rien vu de mon point d'arrivée. Ai-je seulement vécu cet entre-deux ?
En train, espace en voie de disparition, le ciel est un très long panoramique. Arrive la septième heure, sévère, le crépuscule : on arrive à Massy. Cyprès sur l'eau : on dirait l'ile des morts. Il y a peut-être une poupée tombée entre les branches.
De la fumée avant toute chose. Et croquent les gaufrettes à destination de Nantes où sont les LU, comme en Arles sont les Aliscams. (Suivant le bon conseil du fin poète, je prendrai garde à la douceur des chose – diabète oblige. Plus tard, je déciderai sans doute de mourir.)
Rentré chez moi, des soupçons d'aventure frayent encore leur chemin entre mes synapses. La lecture est sans rémission. Dans le désordre insane de ma bilbothèque chargée de fantômes (car les livres sont les fantômes de leurs auteurs, savez-vous) où je range bilboquets et bilboquettes, oursons aux pieds velus et ktulus au pied palmé, dans ce désordre, dis-je, j'extirpe une Aphrodite. Rousse, le sang aux joues autant qu'à ses grandes lèvres vénusiennes. Corps doré adoré. Sa peau est cuite cuivre, son front insoucieux, ses genoux tachés d'herbe fraiche et de colombes. Les tropiques se réveillent. La couche de neige bondit à ma face, éclate de plumes en muguet. Révolution du premier mai.
Puis la pression se relâche.
L'univers est sans concession et sans compassion. L'excès (l'en-trop) entraine l'entropie.
Il serait temps que je me fasse exorciser les orteils comme le commun des immortels. Les rotules aussi. (Mettez-vous à ma place.)
Pour l'heure, n'en ayant pas une paire à me mettre sous les yeux, je me contente d'admirer les nibards en ribambelle qui ballotent au gré du balancement du chwal de l'west dans les westerns féministes. (— Ça existe ? — Oui ! L'étonnant "Convoi de femmes" de William A. Wellman, 1950, sur un scénario de Franck Capra. Mais les nibards n'y ballotent pas tellement, en fait…)
Il faut conclure.
— Tu as un beau chapeau, cow-boy, mais les coyotes hurlent dans la plaine, surtout si tu regardes trop Lola, la fille du pasteur. (La plaine de sel à traverser, d'abord, ce sel dont on bâtit des églises blanches pour les femmes bronzées du Mexique.)
Tu ne sais pas de quoi je suis capable, renchérit l'Indien au galop, déplumé.
— Et ton cheval, qu'est-ce qu'il en pense ?
— Attends, je vais lui demander.
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jeudi 24 mai 2018

ALONE ON MOON / 26


Une histoire marécageuse et quelque peu douloureuse (ballet moderne).
Un musée cannibale. Désastre cosmique. Calamité sans esprit de lucre. Ici, en cette opaque Copenhague, on empaille les fœtus. Leurs dents seront placées dans un verre de lait, lui-même enfermé dans un caisson isobare, lui-même installé au cœur du château des quatre pattes.
Sous la menace des orgues ténébreuses, tu marches, ô Reine Antironie, où tremblent les cercueils, parallélépipèdes féroces, barques vides portées par le courant alternatif, lits qui dansent, avec leurs jupes en nuages d'aurore, tandis que les arbres zombies suspendent le temps à leurs branches et que de cruels nuages te frappent.
— Éliminez ces œufs ! (cries-tu.) Ils puent comme les couquilles du diable !
— Vous voulez dire "les couilles" ou "les coquilles", ô Reine ? demande le correcteur orthographique. De toute façon, ajoute-t-il, ils ont pourri : ils sont restés trop longtemps dans leur… euh… coquille.
— Qu'importe les œufs, les yeux, les dieux : brisez leur voix.
Le diable (car c'était bien lui) te plantera son épine de soufre. Par cet excès de rouge il te fera blanche, ange incandescent de colère. Tu seras portée par le courant, ô Reine Antironie,  barque vide, marchant où trempent les cercueils et où chantent les lys avec leur jupe en nuées d'orage. (Les paravents n'ont plus de secret pour elle.)
Et voici : c'est la mort d'Antironie, la Reine, sans autre forme de procès, les dents serrées sur sa fêlure. La Reine morte est une rousse de rouille et de métal. La Reine est morte. Il faut donc qu'elle danse. Son baiser est un buisson ardent.
Les neiges aux larmes éternelles tombent toujours sur les Alpes où vivent autruches suisses et chiennes autrichiennes sculptées dans les congères. La Reine et son amant gelé Hagendas se roulent des patins sur la glace. « J'ai tout fait, dira-t-elle pour sa défense, en le serrant sur mon sein, pour le protéger de l'hiver. »
Elle quitte son sweat pour montrer ses seins de la dernière chance. Elle offre au vent les voiles de sa robe démariée et ses écharpes. Elle abandonne sa pèlerine, la Reine, rousse aux beaux globes, elle étale ses seins de glace sur la pente, ses seins libres sous le fin lin candide.
En vain. L'avalanche bienvenue les avale. La neige fondue file. L'amant glisse en toboggan jusque dans la crevasse du glacier, emportant la vaisselle.
Dans les rochers, dans les ravins.
L'enfermement, enfin, dans la caverne de l'enfer pavée de lave refroidie, d'un rouge presque noir, couleur de sang séché.
Il en faudra, des couleurs, pour récompenser les danseurs harassés : tout un arc-en-ciel, tout un Rubiks Cube.


dimanche 20 mai 2018

ALONE ON MOON / 25


Les tribulations de Vulbens Faramaz.
Sur une vague de brouillard cosmique, entre deux planètes de cristal, entre alpha et oméga, des fleurs au parfum vert poussent sur une automobile de brique. Leurs pétales sont beaux comme des enclumes reflétant les étoiles, les comètes et les longs méandres de brume.
Juste là, le biplan de papier journal que pilote Vulbens Faramaz, le fameux héros, l'ange fabuleux. Il a le visage blanc d'Hermès, quatre ailes cristallines et ses cheveux de lumière se mêlent aux rayons du soleil. Il porte un blouson de cuir à feu doux, mais en dessous, en bas, rien. Nu comme un verre. (Comment pourrait-on dormir, dans un pyjama à rayures ?) Entre ses cuisses d'albâtre, il n'y a rien : les anges sont sans sexe.
Son beau homard biplan dessine sur la nuit un message de catastrophe. Turbulences. De son réservoir, l'alphabet fuit.
Les aviateurs de l'aéropostale ont volé la nuit. Les pionniers des Andes au cœur d'albâtre escaladent les charbons ardents du crépuscule. Ils nagent en nuages, anges exterminateurs ayant rongé leurs chaines, leurs ailes d'acier fendant la voie lactée.
L'oiseau de papier en perdition s'écrase sur la plus haute terrasse de la mosquée des morts-vivants et, surchauffé, prend feu comme un hydravion crashé en plein champ (on ne retrouvera jamais la boite noire). Vulbens Faramaz voit ses ailes bruler comme cocons de soie et se retrouve nu sur la terrasse aride.
La longue marche commence – en rase campagne.
C'est l'hiver. Le soleil brille par son absence. Il fait froid comme un canard. Les arbres n'ont plus que la peau sur les os. Les corneilles ont bouffé leurs racines. Cerveau en berne, il va longtemps marcher dans des endroits pâles, des lieux sans porte, des espaces dissymétriques. Il se livrera aux arts cannibales. Il boira des enfants. Sur la route au tabac, des marâtres texanes l'attaqueront, prédatrice de sa santé.
Il sera tracté en lévitation dans l'azur par un rayon de lumière infaillible tombé d'un trou dans la voute du ciel.  Au dessus, une fois passée la fontanelle, c'est un paysage de prairie et de cerisiers. L'attendra là cette femme à la flute et au serpent que peignait Rousseau (le douanier). Il se souviendra qu'elle s'éloignait vers l'horizon, nue, la belle échappée, et que dansaient en éventail ses fesses rebondies, infraction ambulante au code de déontologie des anges héroïques.
Dans quelques heures il sera chauve.
Ça le turlupinera longtemps.
À moins que ça ne le tarabuste.
Saperlipopette.
(Il n'y a pas de raison que ça s'arrête.)
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Il n'y a pas de raison que ça s'arrête, dis-je… Pourtant il se pourrait bien que j'arrive au bout des "Alone on moon" proprement dits, c'est-à-dire de ces quelques mois (depuis décembre 17) de superpositions plus ou moins improvisées plus ou moins maitrisées de mots, de phrases et d'interlignes, allant du calembour vaseux à l'évocation onirique-ironique (anagramme signé JHV). Il reste quelques pages à peu près abouties qui vont donc bientôt s'afficher… et puis des notes en vrac qui ne trouveront pas forcément les bouts de scotch nécessaires à des coupers/collers à peu près pertinents. (Un "couper/coller", ça peut se plurieliser ?).
Et puis, quand même, en fouillant un peu dans mon Mac, je redécouvre des paquets de textes (je suis un peu atteint de graphomanie) qui, bien que plus anciens, pourraient très bien s'inscrire dans le droit fil des "Alone on moon" et qui ne demandent qu'à voir le jour (virtuel mais public).
Et puis, parfois, j'ai aussi envie de reprendre des textes plus "comme avant", c'est-à-dire plus réflexifs, concernés par la réalité sociale, politique, psychologique, écologique et scientifique. Sans omettre les chroniques cinématographiques, musicales, picturales, télévisuelles……
Et donc, malgré mes tergiversations, ça va continuer.
— Et les lecteurs, tu leur demande pas s'ils en ont pas marre ?

dimanche 13 mai 2018

ALONE ON MOON / 24

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Je suis du peuple des nombres.
Le monde est un chaos vermifuge. Comment faire cohabiter des millions de libre-arbitres ? Un petit bout de femme de l'Est, un ex-ministre du travail, un espèce d'athlète complet aux yeux de petits pois, les bourgeois décalés et des momies passées aux rayons X, des chevaliers billards, des trafiquants d'oranges ou de prostaglandyne… Et les rêves d'un peuple qui n'existe pas.
… Un funambule électrique piétine sans vergogne l'hippocampe de mon cerveau. Mon téléphone est absent. Face à la perplexité du monde, je reste complexe – passager clandestin. Je vais remonter à l'étage et relire "Ulysse". Apportez du café, vite ! J'utiliserai le rasoir d'Occam comme marque-page.
(Je dis ça, "relire", car les classiques, on est toujours censé les relire, et non les lire… et je viens de m'apercevoir que je n'ai jamais lu l'Ulysse de Joyce (quel beau nom !)… Les pendules se sont arrêtées. Ulysse, à moins que ce soit Nostromo, ne se souvient de rien, ni de Troie, ni de Pénélope la pénultième. Il dort dans la toison d'or de Nausicaa, l'enchanteresse aux hanches enchantées (comme Eva), de Calypso, la nymphe pyromane, de Circé la lotophage, des Sirènes chantant berceuses mortelles. Il n'est plus qu'un fantôme hantant son propre corps.)
Je n'ai pas lu Nostromo de Conrad, non plus.
(L'agent secret crie victoire au cœur des ténèbres.)
Pourtant j'ai essayé…
… Mais en montant, toujours passager clandestin, je vois encore les ascenseurs incessants, le soir déshabillé, le nuage stérile, la baie des cochons, le nom des fleurs, les statues des vents et les rêves antiques d'un peuple qui n'existe pas, la rivière des diamants, les porte-manteaux en goguette… Je vois des costard-cravate allumés sur la chaine de production TV des rêveries infantiles. Je vois les cyclones qui défient les commissions électorales sur papier millimétré. Et des zombies, toujours. Ça n'en finit pas.
Je préfèrerais dormir paisible au nez du sens et à la barbe du profit.
Mais mon cagibi est bourré d'espions russes qui fomentent des attentats urbains. Un certain Molotov et un certain Kalashnikov boivent des cocktails accoudés au bar à Berlin. (Le marshall Mallow les surveille, toujours prêt à dégainer. Vive la fureur diplomatique.)
Je vais quand même remettre le couvert, ou élever les lapines au musée, ou partir aux Philippines, ou manger des pianisses (avec des frites), ou marcher sur les mains (celles des autres), ou couper de l'herbe sous des pieds, ou monter mon escalier sans me faire mordre par mon rosier, ou rétrécir au lavage comme une brebis broutant sous la pluie. (Car quand je vois les brebis qui paissent sur la prairie sous la pluie, j'ai peur que leur laine rétrécisse sur leur dos et qu'elles se retrouvent toutes nues, ou au moins coiffées en caniches type 16ème arrondissement.)
Mais la forêt est encore en proie au voyage d'hiver sans sous-titres, glissé sur le verglas à la poursuite des arbres morts. Les chenilles processionnaires ont mangé toutes les feuilles des chênes verts. Des papillons en sont nés, éphémères d'un blanc fade. Je les piétine par millions sur le chemin, dernière neige. Poor butterfly…
… C'est qu'on n'y comprend rien, c'est le chaos, comme dit plus haut, le mal est partout, mais « God has a plan ». Terrifiante crétinerie en série mille fois répétée dans les séries et films américains. Parfois, c'est « je ne comprends pas très bien le plan de Dieu ».
— Tu l'as dit, Billy.
Et les post-hippies passés de la religion des Pères Fondateurs au New Age disent aussi « tout arrive pour une raison », ce qui n'est ni raisonnable ni rationnel. Bullshit strictly for the birds. Langage des écrevisses récidivistes de la résignation.
Autant dire « le hasard a un plan ».
Autant secouer les nuages en espérant en faire tomber des anges.
Bizarrement, certains trouvent la situation étrange, mais c'est la réalité qui est comme ça. (Je ne veux pas dire que la réalité est étrange mais qu'elle est "comme ça", c'est-à-dire rien d'autre que ce qu'elle est.) Et la véracité des faits n'exclut pas leur voracité.
Je me remets au lit comme un poisson se remet à l'eau. Les métallos sont endormis. J'entends enfin l'étroit silence du hameau dans la nuit détraquée. Les quarantenaires rugissants se sont tus. Sous le pont dormant des étoiles, les voisins égorgent en silence leurs coussins de plumes.
Arrivé à ce stade, un épisode à base de cacahouettes serait le bienvenu. Mais mon correcteur proteste avec raison : j'avoue que je n'ai jamais su écrire cacahuètes.




dimanche 6 mai 2018

ALONE ON MOON / 23


La machine à exploiter le temps.
Ma petite maison avance par bonds dans la campagne lunaire.
Elle croise une école abandonnée : c'est la rentrée des classes à l'abri d'une halle Baltard. Des enfants aux mains serrant des mamelles s'encadrent dans des fenêtres pâles.
Plus loin, un couple baise dans la neige (par derrière). La neige est verte et vierge sur ce vieux dessin censuré par ma fiancée qui a eu beaucoup de travail pour dessiner la neige. Il faut changer de position, dit-elle. Derrière les fenêtres, villageoises et bonnes sœurs observent la scène, scandalisées. Je tire les rideaux, elles s'en vont.
Plus tard, toujours par cette fenêtre, je regarde les montagnes au loin. Un vautour urubu plane, menaçant de son aile affutée une ourse brune. Des diplodocus se profilent sur la crête – mais ça n'existe plus ces choses là… D'ailleurs ce ne sont que des éléphants : leurs trompes, faisant longs cous, m'ont induit en erreur. Pourtant, oui, il y a bien des tyrannosaures qui les poursuivent. Et dans ma baignoire, des salamandres jaunes et noires et leurs petits – qui nagent.
Je tire la chasse et je vais à la messe de Pâques pour la première fois. La chapelle est bourrée de néandertaliens et d'œufs de bêtes préhistoriques écailleuses. C'est l'holocauste des brontosaures. Le vicaire et sa chorale chantent mal un psaume moral : ils fêtent le mariage d'un vautour urubu et d'une ourse brune. Dans la vasque du bénitier, les salamandres noires et jaunes relaient le cantique de leur voix pointue.
Je monte au clocher. Mes bretelles me lâchent en pleine ascension du septième étage : l'ascenseur est tellement rapide ! Du coup, mes parties honteuses sont de sortie.
Je ne me sens pas très ergonomique. Ni néolibéral. Plutôt néolithique.
Anthropopithèque, j'élève un ogre domestique. (En cas de famine, peut-on manger un ogre ?) Locavore, j'ai déjà dévoré trois hectares de garrigue et de bois, y compris écureuils, sangliers, lapins et buses. (En cas de famine, peut-on cuire des fantômes ?) Végan venu de Véga en soucoupe édentée, j'ai déjà suçoté les cerveaux de trois mille zombies. (Ce n'est pas nourrissant.) Permaculteur, j'ai permuté les sens insensés des mots du Livre amer, j'ai emmuré l'oreille des dévots, j'ai détesté les pesticides, dégraissé les engrais, me suis gavé de bouillie bordelaise et de purin d'ortie. Quand ma dernière ampoule à incandescence est morte, j'ai décidé de la faire empailler. Demain je cracherai sur vos bombes et je démonterai la poussière à voix basse.
Il ne faut pas que j'oublie. Il faut que je n'oublie pas. Il faut que je. Il faut que. Il faut. Il.
Il fait froid, dans ce lit. Le papier glacé de mon livre me gèle les doigts. Il me faudrait un rhododendron de plus. En attendant, j'entoure mon matelas de barbelés domestiques. (Mais cette barricade ne serait même pas capable d'arrêter une pendule.)
D'ailleurs des rats, déjà, tourmentent la carpette.
La nuit retient son souffle. (Heures d'encre, heures de plomb, solennelles.)
Du cœur des ténèbres, mes doigts de pied se fraient difficilement un chemin vers l'aube. Je me décide à me lever et à sortir. Il fait beau, ça me rappelle quand j'étais fœtus. À la campagne, le matin, l'air est tout neuf, presque vert. Mais il ne faut pas regarder trop longtemps le lever de soleil.
L'herbe est fraiche de rosée. J'ai des chaussures, pourtant, mais elles semblent m'être aussi utiles que si je n'avais pas de pieds. (C'est quoi, cette manie d'acheter des chaussures, d'ailleurs ?)
Devant moi, une immense plage constellée de nouilles…
Et mes parties honteuses sont toujours de sortie. (Si tu savais comme j'en ai marre, de ces rêves à la con, maman !)