dimanche 6 mai 2018

ALONE ON MOON / 23


La machine à exploiter le temps.
Ma petite maison avance par bonds dans la campagne lunaire.
Elle croise une école abandonnée : c'est la rentrée des classes à l'abri d'une halle Baltard. Des enfants aux mains serrant des mamelles s'encadrent dans des fenêtres pâles.
Plus loin, un couple baise dans la neige (par derrière). La neige est verte et vierge sur ce vieux dessin censuré par ma fiancée qui a eu beaucoup de travail pour dessiner la neige. Il faut changer de position, dit-elle. Derrière les fenêtres, villageoises et bonnes sœurs observent la scène, scandalisées. Je tire les rideaux, elles s'en vont.
Plus tard, toujours par cette fenêtre, je regarde les montagnes au loin. Un vautour urubu plane, menaçant de son aile affutée une ourse brune. Des diplodocus se profilent sur la crête – mais ça n'existe plus ces choses là… D'ailleurs ce ne sont que des éléphants : leurs trompes, faisant longs cous, m'ont induit en erreur. Pourtant, oui, il y a bien des tyrannosaures qui les poursuivent. Et dans ma baignoire, des salamandres jaunes et noires et leurs petits – qui nagent.
Je tire la chasse et je vais à la messe de Pâques pour la première fois. La chapelle est bourrée de néandertaliens et d'œufs de bêtes préhistoriques écailleuses. C'est l'holocauste des brontosaures. Le vicaire et sa chorale chantent mal un psaume moral : ils fêtent le mariage d'un vautour urubu et d'une ourse brune. Dans la vasque du bénitier, les salamandres noires et jaunes relaient le cantique de leur voix pointue.
Je monte au clocher. Mes bretelles me lâchent en pleine ascension du septième étage : l'ascenseur est tellement rapide ! Du coup, mes parties honteuses sont de sortie.
Je ne me sens pas très ergonomique. Ni néolibéral. Plutôt néolithique.
Anthropopithèque, j'élève un ogre domestique. (En cas de famine, peut-on manger un ogre ?) Locavore, j'ai déjà dévoré trois hectares de garrigue et de bois, y compris écureuils, sangliers, lapins et buses. (En cas de famine, peut-on cuire des fantômes ?) Végan venu de Véga en soucoupe édentée, j'ai déjà suçoté les cerveaux de trois mille zombies. (Ce n'est pas nourrissant.) Permaculteur, j'ai permuté les sens insensés des mots du Livre amer, j'ai emmuré l'oreille des dévots, j'ai détesté les pesticides, dégraissé les engrais, me suis gavé de bouillie bordelaise et de purin d'ortie. Quand ma dernière ampoule à incandescence est morte, j'ai décidé de la faire empailler. Demain je cracherai sur vos bombes et je démonterai la poussière à voix basse.
Il ne faut pas que j'oublie. Il faut que je n'oublie pas. Il faut que je. Il faut que. Il faut. Il.
Il fait froid, dans ce lit. Le papier glacé de mon livre me gèle les doigts. Il me faudrait un rhododendron de plus. En attendant, j'entoure mon matelas de barbelés domestiques. (Mais cette barricade ne serait même pas capable d'arrêter une pendule.)
D'ailleurs des rats, déjà, tourmentent la carpette.
La nuit retient son souffle. (Heures d'encre, heures de plomb, solennelles.)
Du cœur des ténèbres, mes doigts de pied se fraient difficilement un chemin vers l'aube. Je me décide à me lever et à sortir. Il fait beau, ça me rappelle quand j'étais fœtus. À la campagne, le matin, l'air est tout neuf, presque vert. Mais il ne faut pas regarder trop longtemps le lever de soleil.
L'herbe est fraiche de rosée. J'ai des chaussures, pourtant, mais elles semblent m'être aussi utiles que si je n'avais pas de pieds. (C'est quoi, cette manie d'acheter des chaussures, d'ailleurs ?)
Devant moi, une immense plage constellée de nouilles…
Et mes parties honteuses sont toujours de sortie. (Si tu savais comme j'en ai marre, de ces rêves à la con, maman !)


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