jeudi 24 mai 2018

ALONE ON MOON / 26


Une histoire marécageuse et quelque peu douloureuse (ballet moderne).
Un musée cannibale. Désastre cosmique. Calamité sans esprit de lucre. Ici, en cette opaque Copenhague, on empaille les fœtus. Leurs dents seront placées dans un verre de lait, lui-même enfermé dans un caisson isobare, lui-même installé au cœur du château des quatre pattes.
Sous la menace des orgues ténébreuses, tu marches, ô Reine Antironie, où tremblent les cercueils, parallélépipèdes féroces, barques vides portées par le courant alternatif, lits qui dansent, avec leurs jupes en nuages d'aurore, tandis que les arbres zombies suspendent le temps à leurs branches et que de cruels nuages te frappent.
— Éliminez ces œufs ! (cries-tu.) Ils puent comme les couquilles du diable !
— Vous voulez dire "les couilles" ou "les coquilles", ô Reine ? demande le correcteur orthographique. De toute façon, ajoute-t-il, ils ont pourri : ils sont restés trop longtemps dans leur… euh… coquille.
— Qu'importe les œufs, les yeux, les dieux : brisez leur voix.
Le diable (car c'était bien lui) te plantera son épine de soufre. Par cet excès de rouge il te fera blanche, ange incandescent de colère. Tu seras portée par le courant, ô Reine Antironie,  barque vide, marchant où trempent les cercueils et où chantent les lys avec leur jupe en nuées d'orage. (Les paravents n'ont plus de secret pour elle.)
Et voici : c'est la mort d'Antironie, la Reine, sans autre forme de procès, les dents serrées sur sa fêlure. La Reine morte est une rousse de rouille et de métal. La Reine est morte. Il faut donc qu'elle danse. Son baiser est un buisson ardent.
Les neiges aux larmes éternelles tombent toujours sur les Alpes où vivent autruches suisses et chiennes autrichiennes sculptées dans les congères. La Reine et son amant gelé Hagendas se roulent des patins sur la glace. « J'ai tout fait, dira-t-elle pour sa défense, en le serrant sur mon sein, pour le protéger de l'hiver. »
Elle quitte son sweat pour montrer ses seins de la dernière chance. Elle offre au vent les voiles de sa robe démariée et ses écharpes. Elle abandonne sa pèlerine, la Reine, rousse aux beaux globes, elle étale ses seins de glace sur la pente, ses seins libres sous le fin lin candide.
En vain. L'avalanche bienvenue les avale. La neige fondue file. L'amant glisse en toboggan jusque dans la crevasse du glacier, emportant la vaisselle.
Dans les rochers, dans les ravins.
L'enfermement, enfin, dans la caverne de l'enfer pavée de lave refroidie, d'un rouge presque noir, couleur de sang séché.
Il en faudra, des couleurs, pour récompenser les danseurs harassés : tout un arc-en-ciel, tout un Rubiks Cube.


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